Lettre de la COREIDOC n° 17 – Le déficit fonctionnel permanent (DFP)
Bref historique
Jusqu’en 2006, l’incapacité permanente était analysée par la jurisprudence comme un poste hybride réparant à la fois les conséquences personnelles et professionnelles des séquelles présentées par la victime. Cela était dû à l’influence de la loi du 9 avril 1898 relative à l’indemnisation des victimes d’accidents du travail.
L’aspect personnel était exprimé par un taux d’incapacité permanente fixé par le médecin expert et traduit monétairement par le juge. L’aspect économique faisait l’objet d’un calcul mathématique prenant en compte le salaire, partiellement ou en totalité, capitalisé au moyen d’un prix de l’euro de rente issu d’un barème de capitalisation. Il n’était pas rare, en droit commun, de voir indemniser le retentissement professionnel d’une séquelle par la majoration de la valeur du point d’incapacité permanente partielle (IPP) .
Définition Dintilhac
« Ce poste de préjudice cherche à indemniser un préjudice extra-patrimonial découlant d’une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi a une incidence sur les fonctions du corps humain de la victime.
Il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime. Il convient d’indemniser, à ce titre, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après sa consolidation.
Ce poste peut être défini, selon la Commission européenne à la suite des travaux de Trèves de juin 2000, comme correspondant à » la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l’étude des examens complémentaires produits, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours « .
En outre, ce poste de préjudice doit réparer la perte d’autonomie personnelle que vit la victime dans ses activités journalières, ainsi que tous les déficits fonctionnels spécifiques qui demeurent même après la consolidation.
En raison de son caractère général, ce déficit fonctionnel permanent ne se confond pas avec le préjudice d’agrément, lequel a pour sa part un objet spécifique en ce qu’il porte sur la privation d’une activité déterminée de loisirs ».
Aspect indemnitaire
Ce poste de préjudice ainsi défini correspond exactement à la définition du dommage « Atteinte à l’intégrité physique et psychique » (AIPP) résultant des travaux européens de Trèves en 2000. Cette définition a présidé à l’élaboration par des spécialistes des domaines concernés du barème du Concours médical mis à jour en 2001 qui est le plus utilisé actuellement. Ce barème a été repris dans l’annexe du décret n° 2003-314 du 4 avril 2003 relatif au caractère de gravité des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales prévu à l’article L.1142-1 du Code de la santé publique, devenant ainsi le barème officiel pour toutes ces évaluations. Le « Guide Barème européen d’évaluation médicale des atteintes à l’intégrité physique et psychique (Éditions Anthémis, LGDJ, 2010) » s’appuie également sur cette définition de l’AIPP.
La Cour de cassation, après avoir officialisé dès 2009 la nomenclature Dintilhac dans ses acronymes s’est appropriée la définition du déficit fonctionnel permanent pour la première fois dans un arrêt du 28 mai 2009 (Cass. 2ème civ., 28 mai 2009, pourvoi n° 08-16.829). Elle a ainsi jugé que le déficit fonctionnel permanent, pour la période postérieure à la consolidation, inclut « les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales ». Cette définition a été récemment confirmée (Cass. 2ème civ., 18 mai 2017, n° 16-11.190 ; Cass. 2ème civ., 29 juin 2017, n° 16-17.864).
Ce poste de préjudice inclut donc les troubles dans les conditions d’existence, les gênes dans les activités courantes et les souffrances endurées après consolidation (Cass. 2ème civ., 28 février 2013, n° 11-21.015).
Les juridictions du fond rappellent régulièrement cette définition du déficit fonctionnel permanent (CA Bastia, 11 janvier 2012, n° 09/00874 ; CA Bordeaux, 8 avril 2015, n° 13/03076 ; TGI Bayonne, 29 juin 2015, n° 13/01980 ; TGI Paris, 20 septembre 2016, n° 15/03463).
Ainsi, la Cour d’appel de Lyon par une jurisprudence constante confirme la définition du déficit fonctionnel permanent et sa méthodologie d’indemnisation : « Le déficit fonctionnel permanent est défini comme une altération permanente d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d’activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement…
Il n’y a pas lieu de fixer une indemnité séparée au titre des troubles dans les conditions d’existence en procédant à une distinction totalement artificielle qui n’a pour objet que d’obtenir une majoration indirecte de la valeur du point, alors que ces troubles sont précisément l’objet même de la définition du déficit fonctionnel permanent. » (CA Lyon, 18 avril 2013, n° 11/07499 ; CA Lyon, 21 mai 2015, 14/05061).