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Lettre de la COREIDOC n°11 – Les pertes de gains professionnelles actuels

Bref historique

Jusqu’en 1987, aucune distinction n’était faite entre les aspects personnels et professionnels des dommages subis par une victime avant consolidation. A partir de 1994, des définitions consensuelles avaient permis de définir l’incapacité temporaire en fonction de l’exercice ou non d’une activité rémunérée. La mission AREDOC 1994 demandait au médecin de décrire précisément les gênes et conséquences des lésions et leur incidence sur la vie personnelle de la victime. Jusqu’en 2005, ces termes d’Incapacité Temporaire Totale (ITT) et d’Incapacité Temporaire Partielle (ITP) continuaient cependant à être utilisés, entretenant la confusion entre les gênes professionnelles et personnelles subies par la victime dans sa vie quotidienne. Le caractère hybride de cette ITT a conduit la commission présidée par Jean-Pierre Dintilhac, en 2005, à proposer de distinguer clairement la sphère personnelle et la sphère professionnelle d’une même victime par la création de deux postes de préjudice : le Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT), pour les aspects personnels, et les Pertes de Gains Professionnels Actuels (PGPA), pour les aspects professionnels. Aujourd’hui l’aspect professionnel est clairement distingué de l’aspect personnel.

Définition Dintilhac

Il s’agit « de cantonner les pertes de gains liées à l’incapacité provisoire de travail à la réparation exclusive du préjudice patrimonial temporaire subi par la victime du fait de l’accident, c’est-à-dire aux pertes actuelles de revenus éprouvées par cette victime du fait de son dommage. Il s’agit là de compenser une invalidité temporaire spécifique qui concerne uniquement les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime jusqu’à sa consolidation. Bien sûr, ces pertes de gains peuvent être totales, c’est-à-dire priver la victime de la totalité des revenus qu’elle aurait normalement perçus pendant la maladie traumatique en l’absence de survenance du dommage, ou être partielles, c’est-à-dire la priver d’une partie de ses revenus sur cette période. L’évaluation judiciaire ou amiable de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d’une perte de revenus établie par la victime jusqu’au jour de sa consolidation ».

Aspect indemnitaire

Les Pertes de Gains Professionnels Actuels (PGPA) correspondent aux pertes de salaires, de rémunération et de revenus salariaux, artisanaux ou libéraux, pendant la période d’arrêt d’activité professionnelle imputable, définie médicalement. Ce poste est à dissocier du déficit fonctionnel temporaire qui a vocation à indemniser l’incapacité subie par la victime dans sa sphère personnelle. La victime doit être indemnisée de l’ensemble des pertes de gains correspondant aux arrêts de travail délivrés par son médecin traitant, à condition que le lien de causalité avec l’accident soit établi.

Cependant, il peut pourtant arriver que le médecin traitant prescrive des arrêts de travail en fonction de considérations qui ne sont pas directement imputables à l’accident ou à ses conséquences (milieu familial, maladies surajoutées à l’accident, etc.) et sur la justification desquelles le médecin expert n’a pas à se prononcer.
Aucune indemnisation au titre de ce poste n’est due aux personnes non actives, aux enfants mineurs ou majeurs scolarisés. (Sur ce point, se reporter à la fiche PSUF). La production de justificatifs relatifs aux gains manqués à cause de l’accident est une condition de leur paiement.

Pour le cas des travailleurs salariés, le calcul de la perte de gains professionnels actuels se calcule sur la base du montant net qui aurait dû être perçu par la victime. Ainsi, une victime qui effectuait avant son accident un stage d’accès en entreprise comme secrétaire médicale, avec embauche potentielle dans l’entreprise où elle était placée, qui a été embauchée après l’accident dans cette même entreprise mais seulement à titre de standardiste, n’ayant pu fournir de justificatifs relatifs au salaire qu’elle aurait pu percevoir en tant que secrétaire a été indemnisée sur la base de ses revenus en tant que standardiste (CA d’Aix en Provence, 18 février 2009, n° 08/00519).

La Cour de cassation a par ailleurs censuré une cour d’appel, pour avoir retenu le versement de gains considérés comme hypothétiques (Cass. Civ. 2ème, 3 juillet 2014, n°13-22.416), dans le cas d’une victime d’agression, vétérinaire diplômée, dont la carrière avait été modifiée du fait des séquelles liées à l’infraction. La cour d’appel avait estimé les revenus qui auraient pu être ceux de la victime quatre ans plus tard selon la convention collective. La Cour de cassation a censuré cette position : « Attendu qu’en statuant ainsi, sur la base de revenus hypothétiques, la cour d’appel a violé le texte et le principe susvisés ». En général, la perte de revenus nets est calculée à partir du salaire net que percevait la victime à la date de l’accident. Toutefois, si l’arrêt de travail se prolonge sur une longue période, une revalorisation du salaire est admise pour tenir compte de l’inflation. Ainsi, dans un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. Civ. 2ème, 12 mai 2010, n°09-14.569), la Cour, aux visas de l’article 1382 du code civil et du principe de la réparation intégrale casse la décision rendue par la cour d’appel qui n’avait pas pris en compte l’érosion monétaire dans le calcul des sommes allouées à la victime : « Attendu que pour rejeter la demande de Mme X… tendant à l’actualisation, compte tenu de l’érosion monétaire, des sommes allouées en réparation de son préjudice résultant des pertes de gains professionnels pendant les périodes d’incapacité temporaire totale et partielle de travail, l’arrêt énonce que la créance indemnitaire n’a pas à être revalorisée en fonction de paramètres monétaires ; qu’en statuant ainsi, alors que, si la perte éprouvée ne peut être fixée qu’en fonction des pertes de gains professionnels perçus à l’époque de l’incapacité totale temporaire ou partielle de travail, les juges du fond doivent procéder si elle est demandée, à l’actualisation au jour de leur décision de l’indemnité allouée en réparation de ce préjudice en fonction de la dépréciation monétaire, la cour d’appel a violé le texte et le principe susvisés ».

Pour le cas des travailleurs non-salariés, il conviendra de prendre en considération la perte de marge brute subie pendant la période d’incapacité.
La victime ne peut pas réclamer le remboursement de rémunérations provenant d’un travail dissimulé ou illégal (Cass. Civ. 2ème, 24 janvier 2002, n° 99-16.576).
En ce qui concerne les demandeurs d’emploi, l’indemnisation de ce poste de préjudice n’est possible que si la personne avait des « chances sérieuses de reprendre une activité rémunérée » (CE, 13 octobre 2004, n° 248626).   Les critères pour apprécier cette condition peuvent être les diplômes, la recherche effective d’un emploi, une offre d’embauche ferme avant l’accident, etc.
Dans ce cas, l’indemnisation doit se faire en fonction de la perte de chance de retrouver le plus rapidement possible un emploi correspondant à la qualification de la victime et à sa situation géographique.

Pour calculer l’indemnité revenant à la victime, il y a lieu de déduire, des PGPA ainsi calculés, les prestations réparant ce poste de préjudice et ouvrant droit à un recours subrogatoire au sens des articles 29 et 30 de la loi du 5 juillet 1985.

Il s’agit des indemnités journalières ou salaires versés par les tiers payeurs mentionnés aux articles suivants de la loi du 5/07/1985 :

-Art 29-1 : indemnités journalières versées par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale et ceux mentionnés aux articles 1106-9, 1234-8 et 1234-20 du Code rural.

-Art 29-4 : salaires et accessoires maintenus par l’employeur durant la période d’inactivité consécutive à l’accident.

-Art 29-5 : indemnités journalières versées par les groupements mutualistes régis par le code de la mutualité, les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code rural et les sociétés d’assurance régies par le code des assurances. Selon une jurisprudence constante de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, les indemnités journalières et prestations d’invalidité versées par ces tiers payeurs ont un caractère indemnitaire, par détermination de la loi, quel que soit leur mode de calcul, forfaitaire ou non : Cass. Civ. 2ème, 13 janvier 2012 n°10-28.075, publiée au bulletin du 4 février 2016 n°14-28.045 et ce, même si le tiers payeur renonce à exercer un recours subrogatoire (Cass. Civ. 2ème, du 13 juin 2013, n°12-14.685).

Ainsi, la Cour d’appel de Paris a pu estimer logique que la victime ne perçoive pas d’indemnisation au titre de ce poste de préjudice dès lors qu’elle n’a perdu aucune rémunération lors de son arrêt d’activité du fait des indemnités journalières versées et des salaires maintenus par l’employeur (CA de Paris, 19 mars 2007, n° 05/09195).