Mission d’expertise médicale 2009 – Mise à jour 2014 – Commentaire du point 12
Point 12 – Les gênes temporaires constitutives d’un Déficit Fonctionnel Temporaire (DFT)
I – TEXTE DE LA MISSION
« Que la victime exerce ou non une activité professionnelle :
• Prendre en considération toutes les gênes temporaires subies par la victime dans la réalisation de ses activités habituelles à la suite de l’accident ; en préciser la nature et la durée (notamment hospitalisation, astreinte aux soins, difficultés dans la réalisation des tâches domestiques, privation temporaire des activités privées ou d‘agrément auxquelles se livre habituellement ou spécifiquement la victime, retentissement sur la vie sexuelle).
• En discuter l’imputabilité à l’accident en fonction des lésions et de leur évolution et en préciser le caractère direct et certain.
• En évaluer le caractère total ou partiel en précisant la durée et la classe pour chaque période retenue ».
II – COMMENTAIRES
1. Bref historique
Jusqu’en 2006, pour déterminer l’arrêt temporaire des activités personnelles et professionnelles d’une même victime, coexistaient simultanément des termes mais surtout des sigles, très polymorphes. Il y eut d’abord l’ITT qui pouvait signifier aussi bien Incapacité Temporaire Totale, qu’Incapacité Totale de Travail, ou encore Incapacité Temporaire de Travail… Puis ce fut l’ITP, Incapacité Temporaire Partielle, puis l’ITPT, Incapacité Temporaire Partielle de Travail et l’ITTP, Incapacité Totale de Travail Personnel ou même Incapacité Totale de Travail Professionnel. Chaque sigle n’avait en outre pas les mêmes conséquences en fonction du cadre de son utilisation : le droit commun de la responsabilité civile utilisait l’ITT pour indemniser l’arrêt de travail mais l’a progressivement étendue aux non travailleurs, tandis que le droit pénal utilisait principalement ces sigles pour aboutir à la détermination de la compétence du tribunal.
Pour couper court à l’ambiguïté de cette notion d’ITT, qui répare à la fois la perte de gains et les gênes personnelles subies par la victime avant consolidation, le groupe de travail présidé par Jean-Pierre Dintilhac en 2005, proposant une nomenclature des postes de préjudice, a choisi de scinder en deux parties cette période en définissant deux postes de préjudice distincts. C’est ainsi que la sphère personnelle de la victime est, dorénavant, prise en considération dans un poste dénommé « Déficit Fonctionnel Temporaire » (DFT) et que les aspects touchant la sphère professionnelle de la victime avant la consolidation sont pris en considération par le poste intitulé « Perte de Gains Professionnels Actuels » (PGPA).
2. Définition
La nomenclature Dintilhac définit ce poste de préjudice ainsi : « Ce poste de préjudice cherche à indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire jusqu’à sa consolidation. Cette invalidité par nature temporaire est dégagée de toute incidence sur la rémunération professionnelle de la victime, laquelle est d’ailleurs déjà réparée au titre du poste perte de gains professionnels actuels. A l’inverse, elle va traduire l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu’à sa consolidation. Elle correspond aux périodes d’hospitalisations de la victime, mais aussi à la perte de qualité de vie et celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime pendant la maladie traumatique (séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime, préjudice sexuel pendant la maladie traumatique, etc.) ».
Ainsi, ce poste regroupe non seulement le déficit de la fonction qui est à l’origine de la gêne mais également les troubles dans les conditions d’existence (TCE), les gênes dans les actes de la vie courante (GAVC), le préjudice d’agrément temporaire et le préjudice sexuel temporaire. Les conséquences professionnelles font l’objet d’une autre question (point 13 de la mission).
3. Mode d’évaluation, outils, aides
En 2010, la SFML et la FFAMCE ont constitué un groupe de travail dont les réflexions ont été publiées et que l’AREDOC adopte in extenso (Réflexions publiées dans la Revue Française du Dommage Corporel : – Les gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire (DFT). RFDC, 2010, 36-1, 37-39. – Classification des gênes temporaires partielles (GTP) constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire partiel (DFT). RFDC, 2011, 37-1, 83-86).
A – Un chapitre dédié
Tout d’abord, afin de permettre aux lecteurs du rapport d’expertise de bien retrouver les conséquences du dommage initial sur la vie personnelle de la victime, il a été décidé de leur dédier un chapitre spécifique intitulé « retentissement personnel ». Sont ainsi clairement exposés les éléments descriptifs nécessaires pour comprendre les durées, donc les dates de chaque période rapportées à la situation personnelle de la victime et d’en connaître la dégressivité. Ce chapitre doit être introduit juste après celui relatif aux commémoratifs (ou rappel des faits) et, afin de bien montrer qu’il se détache des gênes à l’origine d’arrêt d’activité professionnelle, il sera suivi, si nécessaire, d’un autre chapitre intitulé « retentissement professionnel ».
B – Raisonnement médico-légal
Chaque période de gêne, qu’elle soit totale ou partielle, est exclusive des autres sans cependant être nécessairement systématiquement présente. De plus, ces périodes peuvent se succéder, voire alterner dans le temps. La date de consolidation (Note de l’AREDOC : Se reporter à la lettre sur la consolidation (point 15) retenue fixera la fin de la période des gênes temporaires).
Le caractère total ou partiel d’une gêne temporaire s’apprécie selon le type de lésion subie, son évolution et ses complications éventuelles, rapportées aux activités quotidiennes de la victime, à son âge, à l’état dans lequel elle se situait avant l’accident (personne âgée, enfant ou personne déjà handicapée par exemple). Le médecin devra apprécier la nature de la gêne non pas seulement sur la foi des déclarations de la victime ou sur des circonstances indépendantes de l’aspect médical, mais sur des éléments médicaux objectifs et factuels dont il lui appartiendra de discuter l’imputabilité aux lésions initiales et à leur évolution. Le médecin pourra s’aider de quelques items utilisables dans son analyse comme la possibilité pour la victime de se laver, de s’habiller, de prendre ses repas, de se déplacer et tenir compte de la reprise de l’autonomie sphinctérienne. C’est aussi la nécessité d’un traitement anti-coagulant, le début de la verticalisation, la durée d’utilisation d’une aide technique (cannes canadiennes, cannes anglaises, déambulateur, collier cervical…), la date de première sortie hors du domicile, celle de la reprise de la conduite automobile, celle de l’utilisation des transports en commun, celle de la reprise de l’activité domestique et/ou d’agrément ou encore celle du début de rééducation au cabinet du kinésithérapeute alors qu’il venait à domicile, sauf si le blessé est conduit en VSL.
En outre, afin de répondre à la question et être le plus descriptif possible, le médecin devra se reporter au point 4-3 de la mission qui lui demande de « décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l’autonomie et, lorsqu’il y a eu recours à une aide temporaire (humaine ou matérielle) en préciser la nature, la durée et la fréquence ». Ainsi, le médecin précisera si une aide, qu’elle soit technique ou humaine, a été nécessaire et pendant quelle période (Note de l’AREDOC : Se reporter à la lettre sur le rappel des faits (point 4)).
Ainsi, muni des informations nécessaires tant médicales que médico-légales rapportées aux activités personnelles de la victime et à son statut personnel, permettant une appréciation in concreto, le médecin pourra préciser non seulement le caractère total ou partiel de la gêne temporaire, mais aussi, dans le cadre de la gêne partielle, montrer que, objectivement, il existe une dégressivité des gênes en donnant des éléments permettant d’en apprécier l’intensité. Le médecin pourra ainsi dégager deux types de gênes :
1. La gêne temporaire totale : c’est la période pendant laquelle la victime a été dans l’impossibilité totale de réaliser ses activités personnelles (dont ludiques et sportives) ou très restreinte dans les activités essentielles de la vie, pendant son hospitalisation ou à son domicile. A l’hôpital, dans le cadre d’une hospitalisation conventionnelle totale ou une hospitalisation partielle de jour, la gêne est considérée comme totale dès lors que la victime est assistée pour les différents actes essentiels de la vie. Quand la victime est à domicile, la gêne est totale dès lors qu’elle est immobilisée sans pouvoir sortir pour des raisons médicales imputables aux lésions initiales et à leur évolution.
2. La gêne temporaire partielle : c’est la période pendant laquelle la victime a repris tout ou partie de ses activités personnelles (dont ludiques et sportives). Cette période ne fait pas nécessairement suite à une période de gêne temporaire totale. Elle peut en effet débuter immédiatement après l’accident. Elle est assez fréquente et concerne plus spécifiquement les victimes de traumatismes mineurs ou ne touchant qu’une seule région corporelle. Cette gêne partielle, dégressive par nature, en fonction de l’évolution des lésions, doit faire l’objet d’un descriptif précis qui figurera au chapitre concerné dans le rapport d’expertise intitulé « retentissement personnel ».
Deux situations possibles peuvent être retrouvées :
• soit la victime est gênée partiellement dans toutes ses activités sans pour autant que celles-ci soient rendues impossibles ;
• soit elle est gênée totalement dans une de ses activités alors qu’elle peut en réaliser d’autres.
L’évaluation de cette gêne temporaire partielle passe par une description méthodique. Le médecin précisera son caractère partiel, expliquera en quoi consiste la dégressivité de la gêne et en indiquera les durées séquentielles et/ou les dates de début et de fin à l’aide des 4 classes présentées dans le tableau suivant. La tentation est grande de fixer un taux en pourcentage mais il convient de rappeler que les gênes temporaires partielles ne sont pas une AIPP (Atteinte à l’Intégrité Physique et Psychique) temporaire. En effet le DFT comporte non seulement les gênes fonctionnelles mais également les conséquences temporaires sur l’agrément et la vie sexuelle, ce qui n’est pas le cas de l’AIPP (le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel définitifs sont des postes autonomes). Dans le tableau ci-dessous le pourcentage de la gêne temporaire totale n’est qu’indicatif. Seule la classe retenue pour la GTP doit figurer dans le rapport d’expertise.
Classification des gênes temporaires partielles constitutives d’un DFT
CLASSE | INDICE DE GRAVITÉ |
IV | de l’ordre de 75% de la gêne totale |
III | de l’ordre de 50% de la gêne totale |
II | de l’ordre de 25% de la gêne totale |
I | de l’ordre de 10% de la gêne totale |
4. Exemples pratiques (les exemples choisis sont indicatifs et l’expert justifie dans son rapport la classe retenue)
A la lumière de l’expérience du quotidien des experts, des exemples pratiques ont été retenus. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive et l’expert doit s’attacher à procéder par comparaison avec les descriptions proposées. Par ailleurs, il adaptera le choix d’une classe en se rapportant aux activités personnelles du blessé, à son âge, au caractère dominant d’un membre et à ses habitudes de vie. Une immobilisation d’un membre supérieur risque de confiner une personne âgée à son domicile alors qu’un sujet jeune reprendra toutes ses activités à l’exclusion d’activités sportives. Enfin, la classe proposée doit tenir compte de la situation globale du blessé. En cas de polypathologies, il ne doit pas y avoir cumul de classes.
CLASSE | EXEMPLES |
IV |
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III |
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II |
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I |
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Mission d’expertise médicale 2009 – Mise à jour 2014 – Commentaire du point 12