Mission d’expertise médicale 2009 – Mise à jour 2014 – Commentaires du point 15
Point 15 – La consolidation
I – TEXTE DE LA MISSION
« Fixer la date de consolidation, qui se définit comme “ le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il devient possible d’apprécier l’existence éventuelle d’une Atteinte permanente à l’Intégrité Physique et Psychique ” ».
II – COMMENTAIRES
1. BREF HISTORIQUE
D’après le Petit Robert, le mot « consolidation », signifie, dans son acception médicale, « rapprochement, soudure de parties d’os accidentellement séparées » ou « stabilisation d’une maladie, d’une lésion ». L’exemple donné est : « consolidation de blessures… ». Le mot « stabilisation » est défini, dans le contexte médical, comme étant « le fait de ne plus évoluer ni vers une aggravation, ni vers la guérison ».
Tout est dit… ou presque puisque l’histoire montre que ce mot à la définition limpide au départ s’est complexifiée considérablement allant jusqu’à pratiquement perdre sa signification première.
Si le mot a toujours été entendu dans son sens médical ou plutôt chirurgical, il est devenu un repère financier, il y a déjà fort longtemps, puisque c’est à l’occasion des lois relatives aux accidents du travail du 9 avril 1898, du 22 mars 1902 et du 31 mars 1905, que la doctrine et la jurisprudence ont adopté ce terme pour désigner le moment à partir duquel l’incapacité de travail devenant permanente, le versement d’une rente pouvait être réalisé. C’est le moment « où le caractère permanent de l’incapacité s’affirme ».
Sur le plan juridique, il s’agit du point de départ du versement de prestations futures en droit social ou d’indemnités en droit commun de la responsabilité.
La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 a consacré cette date de consolidation comme étant celle à partir de laquelle courent les délais impartis à l’assureur pour faire une offre définitive d’indemnisation (5 mois ou 8 mois selon que la consolidation survient plus ou moins 3 mois après l’accident) et aux organismes sociaux pour produire leur créance (4 mois).
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a consacré également la date de consolidation en la désignant, entre autres, comme point de départ des délais relatifs à l’indemnisation des dommages par l’assureur (4 mois). Cependant, l’indication de ces délais fait référence non pas à la date de consolidation elle même mais à celle à laquelle l’assureur en a eu connaissance. Il n’y a donc aucune obligation faite au médecin de fixer la consolidation à la date de son expertise.
Si la loi du 5 juillet 1985 et celle du 4 mars 2002 ont officialisé le concept de consolidation, elles n’en ont fourni aucune définition. C’est pourquoi, en 1987, la commission de réflexion sur la doctrine et la méthodologie de l’évaluation du dommage corporel en droit commun ( Commission composée de 25 membres (4 magistrats, 6 assureurs, 4 avocats, 8 médecins spécialisés, 1 professeur de droit, 2 représentants d’associations de victimes) présidée par M. Olivier, conseiller à la Cour de cassation, réunie au Palais de justice de Paris de novembre 1985 à février 1987) en a proposé une qui découle directement de celle adoptée par le Code de la sécurité sociale : « c’est le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il est possible d’apprécier un certain degré d’incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ». La commission faisait en outre observer : « la consolidation juridique ne coïncide pas nécessairement avec la consolidation médicale ou la cicatrisation osseuse, ni avec la reprise des activités professionnelles ».
2. DÉFINITION
Le contenu de cette définition a été réaffirmé lors de l’élaboration de la mission droit commun 1994 et a été repris par la nomenclature Dintilhac qui énonce : « La date de consolidation est généralement définie comme le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il est possible d’apprécier un certain degré d’incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ».
3. RAISONNEMENT MÉDICO-LÉGAL : LE RÔLE DU MÉDECIN EXPERT
A – GÉNÉRALITÉS
La fixation de la date de consolidation demande à l’expert un travail de synthèse particulièrement délicat ; c’est l’une des tâches les plus difficiles. C’est la double compétence de l’expert qui lui permet de répondre à la question : compétence médicale d’abord, avec la parfaite connaissance de l’évolution de la pathologie, qu’elle soit traumatique ou non ; compétence en évaluation du dommage corporel, ensuite.
B – CRITÈRES D’AIDE : QUAND CONSOLIDER ?
Cette consolidation médico-légale présente quelques particularités :
– elle ne coïncide pas nécessairement avec la fin des processus physiologiques aboutissant à la cicatrisation d’une plaie, à la solidité d’un cal de fracture, à la récupération de déficits neurologiques, etc. ;
– elle peut être différente de la date de reprise totale des activités professionnelles, ou de celle des activités personnelles ;
– elle n’est pas obligatoirement liée à la fin des soins, bien que ce repère reste l’un des plus significatifs ; inversement, la poursuite des soins n’oblige pas toujours à la repousser ;
– elle ne saurait être déterminée par la date de l’expertise sauf de rares cas comme ceux où la stabilisation de l’état séquellaire coïncide avec l’examen de l’expert ;
– elle correspond toujours à la fin de la période des gênes temporaires.
L’expert doit donc analyser méthodiquement l’évolution des lésions traumatiques pour :
– soit démontrer que la consolidation n’est pas acquise et proposer un nouvel examen ;
– soit déterminer a posteriori le moment où les lésions se sont stabilisées.
En tout état de cause, la date de consolidation doit correspondre soit à la guérison, soit à la permanence des séquelles (ou à leur stabilisation au jour de l’expertise). Elle doit toujours être explicitée, en particulier si le médecin ne retient pas celle proposée par le médecin traitant ou les organismes sociaux.
C – QUELQUES PARTICULARITÉS
Théoriquement, fixer la date de consolidation, c’est indiquer que l’état séquellaire n’est plus susceptible d’évolution en amélioration ou en aggravation. Dans la pratique, les choses sont un peu différentes.
• Consolidation et amélioration des séquelles
En droit commun, un dossier ne peut jamais être ré-ouvert au prétexte d’une amélioration des séquelles.
Cependant, la pratique médicale montre que nombre de séquelles s’améliorent très progressivement au fil des années, en particulier chez les sujets jeunes. Pour des raisons de délais aisément compréhensibles, il n’est pas toujours souhaitable d’attendre la fin de cette évolution spontanée pour fixer la date de consolidation et permettre ainsi l’indemnisation. L’expert doit donc mettre à profit son expérience et sa compétence de médecin pour anticiper raisonnablement cette amélioration prévisible et en tenir implicitement compte dans ses conclusions lorsqu’il fixe la consolidation à une date « raisonnable ». Il s’agit en fait d’une démarche sollicitant tout autant le bon sens que la technique.
En revanche, si une amélioration à court terme est possible grâce à une thérapeutique d’efficacité démontrée et qui n’a pas été proposée au patient, ou qu’il a refusée, l’expert doit en faire état dans son rapport en discutant la réalité de la « stabilisation » des séquelles.
Un problème similaire, mais plus complexe, peut se poser lorsqu’un traitement d’efficacité certaine est volontairement retardé pour des raisons techniques. C’est par exemple le cas pour certaines séquelles de fractures complexes du cotyle chez des sujets jeunes. En l’état actuel des connaissances, nombre de chirurgiens préfèrent différer la pose d’un implant prothétique qui serait néanmoins susceptible d’améliorer les séquelles. Il est habituel d’attendre une phase d’aggravation avant d’intervenir. Là encore, l’expert doit donner toutes les explications techniques nécessaires et motiver les raisons qui le font surseoir à la fixation de la date de consolidation.
• Consolidation et aggravation des séquelles
En droit français, les réserves sont de droit et un dossier peut toujours être ré-ouvert en aggravation. Il n’est donc pas justifié de retarder la consolidation au prétexte de « sauvegarder les droits de la personne examinée ». Celle-ci risque, au contraire, d’être pénalisée par ce report puisque son indemnisation en sera d’autant retardée. Il en est ainsi, par exemple, de la plupart des fractures de l’enfant qui, à court terme, ne laissent subsister que peu ou pas de séquelles ; l’éventuelle « répercussion sur la croissance » consécutive à des fractures très spécifiques pourra toujours donner lieu à la réouverture du dossier en cas d’apparition de déformations.
En revanche, la probabilité d’une aggravation à court terme doit faire surseoir à la consolidation, en particulier si le pronostic vital est en jeu. Il est tout à fait illogique, tant sur le plan médical que médico-légal, de considérer de tels états comme stables. De même, il n’est pas toujours nécessaire d’attendre la réalisation des soins dentaires définitifs pour fixer une date de consolidation : il suffit au médecin de préciser, dans son rapport, la nature des soins imputables qui devront être réalisés dans l’avenir.
Enfin, dans les cas pour lesquels il ne persiste comme séquelles qu’une cicatrice isolée dont l’évolution apparaît favorable et pour laquelle il n’est pas programmé de soins spécifiques dans l’immédiat, l’expert pourra alors consolider l’état de la victime et évaluera le dommage esthétique en précisant l’incidence éventuelle de soins esthétiques futurs.
• Consolidation et handicap lourd
Les critères permettant la consolidation de ces handicaps graves, en particulier les traumatismes crâniens chez l’enfant, sont d’abord des critères médicaux et justifient toujours la réalisation d’examens répétés et des missions spécifiques.
Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un adulte, il est nécessaire d’attendre que le bilan relatif aux différentes aides et matériels destinés à pallier le handicap soit réalisé pour décider si, confrontée à l’aspect médico-légal des séquelles, sa situation est consolidée.
• Consolidation et poursuite des soins
Plusieurs éventualités peuvent se présenter :
– les soins en cours ne sont que la poursuite d’une prescription arrivant à échéance dans un court délai, dont le renouvellement n’apparaît pas utile et qui ne modifieront pas les séquelles observées au jour de l’expertise. L’expert fixera la consolidation à la date de son examen et indiquera l’échéance du traitement en cours ;
– des soins précis sont prévus à court ou moyen terme, et ils ne sont pas de nature à modifier l’état séquellaire (ablation de matériel d’ostéosynthèse par exemple) : l’expert peut fixer la date de consolidation à la date à laquelle il estime que les séquelles n’étaient plus susceptibles d’évolution ou, à l’extrême limite, au jour de son expertise s’il ne trouve aucun autre élément factuel objectivant la consolidation avant cette date. En outre, il précisera éventuellement les incidences médico-légales les plus probables des soins envisagés ;
– des soins sont prévisibles la vie durant pour éviter une aggravation : il s’agit de frais viagers, dispensés après consolidation. La consolidation est donc possible, l’évaluation de ces soins se fera alors au titre des « soins après consolidation/frais futurs (Voir le point 19 de la mission droit commun 2009 mise à jour en 2014) ».
• Consolidation et évolution naturelle de la pathologie
C’est le cas rencontré pour les très petits dommages dont on a la certitude ou la quasi-certitude qu’il n’y aura pas de taux d’AIPP à l’issue.
C’est ce que l’on peut observer dans les situations médicales suivantes :
– l’existence de quelques soins ponctuels à finir (cas de 3 séances de kinésithérapie restant à faire sur 18 prescrites par exemple, et dont la réalisation ne modifiera pas l’évolution favorable observée le jour de l’expertise),
– l’évolution naturelle de la pathologie vers une guérison alors qu’il n’y a plus de soins et que l’on est simplement dans l’attente d’un examen complémentaire.
Le médecin pourra alors anticiper l’évolution et consolider la victime à la date de son expertise en prévoyant de prendre en charge les soins (à la condition qu’ils ne soient que ponctuels) ou l’examen de surveillance ; il pourra, dans certains cas, émettre des réserves sur l’avenir.
• Consolidation et pathologies évolutives
Lorsqu’il s’agit d’une affection chronique évolutive de façon linéaire, sans espoir de guérison, il conviendra alors de proposer, à la date de l’expertise, une évaluation des dommages contenus dans la mission (mission en général spécifique). Dans les autres cas, il conviendra de rechercher une période de palier de stabilisation.
En conclusion, la date de consolidation est donc un jalon très important dans le cheminement d’un dossier de dommage corporel. Fixer une date de consolidation est un passage obligé. Sans elle, il ne peut pas y avoir d’indemnisation. Cette date met un terme aux préjudices temporaires, qui peuvent être ainsi soldés, et marque le début des préjudices permanents qui peuvent être ainsi indemnisés.
Mission d’expertise médicale 2009 – Mise à jour 2014 – Commentaires du point 15