Mission d’expertise médicale 2009 – Mise à jour 2014 – Commentaires du point 16
Point 16 – L’atteinte à l’intégrité physique et psychique constitutive d’un Déficit Fonctionnel Permanent (DFP)
I – TEXTE DE LA MISSION
« Décrire les séquelles imputables, fixer par référence à la dernière édition du “Barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacité en droit commun”, publié par le Concours Médical, le taux éventuel résultant d’une ou plusieurs Atteinte(s) permanente(s) à l’Intégrité Physique et Psychique (AIPP) persistant au moment de la consolidation, constitutif d’un déficit fonctionnel permanent (DFP). L’AIPP se définit comme “ la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant d’une atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié, complété par l’étude des examens complémentaires produits; à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques normalement liés à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours ” ».
II – COMMENTAIRES
1. BREF HISTORIQUE
Dès 1963, le Professeur Derobert, lors de journées d’étude organisées par le Comité Européen des Assurances (CEA), retenait en droit commun le terme d’incapacité et en donnait la définition suivante : « L’incapacité permanente, c’est la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant d’une atteinte à l’intégrité corporelle d’un individu dont l’état est considéré comme consolidé ».
Poste à caractère hybride, composé d’éléments à la fois personnels et professionnels, l’incapacité permanente partielle a longtemps été l’objet de confusions dans sa définition qui ne laissait pas assez percevoir son aspect essentiellement personnel.
En 1972, une commission de travail animée par Monsieur Vassogne (Premier président de la Cour d’appel de Paris) rédigeait une mission diffusée par la Chancellerie qui demandait notamment à l’expert de : « Dire, si du fait des lésions constatées initialement, il existe une atteinte permanente d’une ou plusieurs fonctions et dans l’affirmative, après en avoir précisé les éléments, chiffrer le taux du déficit physiologique résultant au jour de l’examen de la différence entre la capacité antérieure dont, le cas échéant, les anomalies devront être discutées et évaluées et la capacité actuelle ». Il était également demandé à l’expert de décrire les éventuelles répercussions de cette incapacité physiologique sur les activités procurant gain ou profit.
Depuis 2000, suite aux travaux menés à Trèves, un nouveau concept a été adopté par la Commission européenne : l’Atteinte permanente à l’Intégrité Physique et Psychique (AIPP). Sa définition a été reprise par la nomenclature Dintilhac et par la mission élaborée par l’AREDOC en 2006 mise à jour en 2009.
La Cour de cassation a également validé la définition du déficit fonctionnel permanent dans toutes ses composantes en affirmant notamment, par deux arrêts du 28 mai 2009 (Cass., Civ. 2ème, 28 mai 2009, n° 08-16.829) et du 1er juillet 2010 (Cass. Civ. 2ème, 1er juillet 2010, n° 09-68.003), que ce poste de préjudice englobe la perte générale de l’agrément de la vie. La 2ème chambre civile a confirmé par un arrêt du 28 février 2013 (Cass. Civ. 2ème, 28 février 2013, n° 11-21.015) que les éventuelles souffrances permanentes sont également englobées dans le DFP.
2. DÉFINITION
La nomenclature Dintilhac définit ainsi le poste de préjudice qu’elle dénomme « déficit fonctionnel permanent » : « Ce poste de préjudice cherche à indemniser un préjudice extra-patrimonial découlant d’une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi a une incidence sur les fonctions du corps humain de la victime.
Il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime. Il convient d’indemniser, à ce titre, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après sa consolidation. Ce poste peut être défini, selon la Commission européenne à la suite des travaux de Trèves de juin 2000, comme correspondant à « la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l’étude des examens complémentaires produits, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liés à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours ».
En outre, ce poste de préjudice doit réparer la perte d’autonomie personnelle que vit la victime dans ses activités journalières, ainsi que tous les déficits fonctionnels spécifiques qui demeurent même après la consolidation.
En raison de son caractère général, ce déficit fonctionnel permanent ne se confond pas avec le préjudice d’agrément, lequel a pour sa part un objet spécifique en ce qu’il porte sur la privation d’une activité déterminée de loisirs ».
3. RAISONNEMENT MÉDICO-LÉGAL ET ÉVALUATION
A – RAISONNEMENT MÉDICO-LÉGAL
L’AIPP comprend non seulement la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel mais aussi le retentissement psychologique secondaire aux séquelles présentées et les douleurs qui les accompagnent, ainsi que la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qui y sont associés (Ainsi, la CA de Lyon dans un arrêt du 18 avril 2013 n° 11/07499 précise « le déficit fonctionnel permanent est défini comme une altération permanente d’une ou plusieurs fonctions physiques sensorielles ou mentales ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé entraînant une limitation d’activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement. […] Il n’y a pas lieu de fixer une indemnité séparée au titre des troubles dans les conditions d’existence en procédant à une distinction totalement artificielle qui n’a pour objet que d’obtenir une majoration indirecte de la valeur du point alors que ces troubles sont précisément l’objet même de la définition du déficit fonctionnel permanent » ).
Pour déterminer un taux d’atteinte à l’intégrité physique et psychique, il est nécessaire d’avoir pratiqué un examen clinique minutieux, précis et comparatif. L’examen clinique est l’élément pilier du rapport d’expertise et il a une importance primordiale. La fiabilité que doit revêtir cet examen est essentielle car c’est principalement à partir des données de l’examen clinique que sera déduite l’existence de séquelles, donc le taux d’AIPP. Toute région initialement traumatisée doit être systématiquement examinée, même si elle ne fait l’objet d’aucune doléance. De même, toute région faisant l’objet de doléances imputées par la victime à l’accident doit être examinée, même si elle est réputée ne pas avoir été initialement traumatisée. Cela permet, dans le premier cas, d’être sûr de l’absence de séquelles, et dans le second, de discuter de l’imputabilité avec des bases cliniques. En outre, seul un examen bien conduit et réalisé correctement permettra de comparer les séquelles en cas de contestation ou d’aggravation (Se reporter aux commentaires du point 10 de la mission 2009 mise à jour en 2014).
L’expert apprécie in abstracto l’atteinte à l’intégrité physique et psychique ; les répercussions de ces séquelles sur les activités professionnelles ou d’agrément sont évaluées dans les points 18-1 et 18-2 de la mission. Cette approche objective, pragmatique et médicale du taux d’AIPP implique que l’adage « à déficit égal, AIPP égale »soit toujours d’actualité.
La difficulté d’évaluation de l’AIPP n’est pas proportionnelle à l’importance du taux retenu et l’expert doit justifier tout taux dès le premier point. Il est souvent plus difficile de justifier un petit taux et sa permanence, qu’un taux plus important, et pourtant le gestionnaire du dossier ou le magistrat est en droit d’attendre du médecin expert une telle justification. Cependant, la vérité médico-légale en matière de taux d’AIPP n’est pas une vérité mathématique et la discussion peut être ouverte, dans nombre de cas, à condition qu’elle reste technique et fondée sur un diagnostic séquellaire précis et une imputabilité indiscutable.
B – OUTIL
Le barème le plus utilisé actuellement est le barème du Concours Médical mis à jour en 2001, suite aux travaux de Trèves et élaboré par des spécialistes des domaines concernés. Il s’appuie sur la définition européenne de l’AIPP et correspond en cela exactement à la définition donnée par la nomenclature Dintilhac. Ce barème a été repris dans l’annexe du décret n° 2003-314 du 4 avril 2003 relatif au caractère de gravité des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales prévu à l’article L.1142-1 du Code de la santé publique, devenant ainsi le barème officiel pour toutes ces évaluations. Seul un autre barème s’appuie sur cette définition de l’AIPP : c’est le « Guide Barème européen d’évaluation médicale des atteintes à l’intégrité physique et psychique (Éditions Anthémis, LGDJ, 2010)».
Mission d’expertise médicale 2009 – Mise à jour 2014 – Commentaires du point 16