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Lettre de la COREIDOC n° 24 – Les préjudices liés à des pathologies évolutives (P.EV)

Bref historique

A la suite des plaintes déposées par les victimes de transfusions sanguines contaminantes dans les années 1985, une loi d’urgence créant un Fonds d’indemnisation a été votée afin de régler au plus vite le sort souvent dramatique de ces victimes.

Le conseil d’administration du Fonds d’indemnisation des hémophiles et transfusés victimes de contamination par le VIH (FITH), créé par la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991, intervenant en la matière, a défini le préjudice spécifique de contamination de la manière suivante :

« Le préjudice personnel et non économique de contamination par le VIH recouvre l’ensemble des troubles dans les conditions d’existence entraînés par la séropositivité et la survenance de la maladie déclarée. Le préjudice spécifique inclut ainsi, dès la phase de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait de la contamination par le VIH : réduction de l’espérance de vie, incertitude quant à l’avenir, crainte d’éventuelles souffrances physiques et morales, isolement, perturbations de la vie familiale et sociale, préjudice sexuel et le cas échéant de procréation. Il inclut en outre, les différents préjudices personnels apparus ou qui apparaîtraient en phase de maladie avérée : souffrances endurées, préjudice esthétique et l’ensemble des préjudices d’agrément consécutifs ».

Ce préjudice a été repris dans sa composante morale par la nomenclature Dintilhac.

Définition Dintilhac

« Il s’agit d’un poste de préjudice relativement récent qui concerne toutes les pathologies évolutives. Il s’agit notamment de maladies incurables susceptibles d’évoluer et dont le risque d’évolution constitue en lui-même un chef de préjudice distinct qui doit être indemnisé en tant que tel.

C’est un chef de préjudice qui existe en dehors de toute consolidation des blessures, puisqu’il se présente pendant et après la maladie traumatique. Tel est le cas du préjudice lié à la contamination d’une personne par le virus de l’hépatite C, celui du V.I.H., la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou l’amiante, etc.
Il s’agit ici d’indemniser « le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d’apparition à plus ou moins brève échéance d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital » (Voir définition de Mme Lambert-Faivre citée par J. Mazars, Évaluer et réparer, Les Annonces de la Seine, 23 juin 2005, n° 43, p. 4).

Bien évidemment, la liste de ce type de préjudice est susceptible de s’allonger dans l’avenir au regard des progrès de la médecine qui mettent de plus en plus en évidence ce type de pathologie virale ou autre jusque-là inexistante ou non détectée ».

Aspect indemnitaire

Il s’agit ici des maladies incurables, qui comportent le risque d’apparition à plus ou moins brève échéance d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital, susceptibles d’évolution pour lesquelles la notion de consolidation n’est pas adaptée ; la liste qui en est donnée par la nomenclature Dintilhac n’est pas exhaustive. Il sera donc tenu compte de tous les éléments médicaux connus au jour de la demande.

Ce poste de préjudice vise à indemniser l’angoisse liée à la connaissance de cette pathologie. Seule la composante morale est visée ici et en cas de maladie avérée, les autres postes de préjudices seront indemnisés séparément.

Jurisprudence

Pour l’instant, le poste de préjudice lié à des pathologies évolutives n’a pas encore été évoqué par la Cour de cassation qui ne l’a donc pas défini. Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendu en mars 2010 (Cass. 2ème civ., 18 mars 2010, n° 08-16.169) fait encore référence au préjudice spécifique de contamination qui est caractérisé par « les souffrances dues au traitement de la maladie, l’inquiétude sur son avenir, et les perturbations causées à sa vie familiale et sociale », sans que l’on sache actuellement si le P.EV aura strictement la même composante.

CA Aix-en-Provence, 11 décembre 2013, n° 2013/500 et n° 1121896 : « Préjudice lié à des pathologies évolutives, hors consolidation : sous cet intitulé, Mme. A. fait valoir que l’état de son œil peut évoluer et aboutir à la perte totale de son usage, que le retrait de son œil et la pose d’un œil de verre sera nécessairement générateur d’une nouvelle opération et de frais. Mais cette situation redoutée n’est pas à ce jour avérée et ouvrira droit simplement, si elle se produit, à une nouvelle possibilité d’indemnisation, dans le cadre juridique d’une aggravation de son état. Sa demande d’indemnisation actuelle ne peut donc prospérer ».

CE, 25 octobre 2017, n° 404998 :

Une patiente a été contaminée par l’Hépatite C à la suite d’une transfusion sanguine en 1985. Elle forme une demande auprès de l’ONIAM le 7 septembre 2010. Après expertise, l’ONIAM lui oppose un refus, estimant la créance de réparation prescrite. La cour d’appel confirme, considérant que la date de consolidation du dommage devait être fixée au 11 mai 1995, date à laquelle l’état de santé de l’intéressée s’était stabilisé. Le Conseil d’État, rappelant que la prescription des demandes d’indemnisation formées devant l’ONIAM est décennale et court à compter de la consolidation du dommage, pose le principe selon lequel « la date de consolidation n’est pas, lorsqu’est en cause une pathologie évolutive, la date de la stabilisation des troubles ».

CE, 25 octobre 2017, n° 400950 :

Dans une autre affaire de contamination transfusionnelle, le Conseil d’Etat énonce que « dans le cas d’une pathologie évolutive insusceptible d’amélioration, l’absence de consolidation, impliquant notamment l’impossibilité de fixer définitivement un taux d’incapacité permanente, ne fait pas obstacle à ce que soit mise à la charge du responsable du dommage la réparation des préjudices matériels et personnels dont il est d’ores et déjà certain qu’ils devront être subis à l’avenir. En revanche, l’existence de traitements rendant possible une guérison fait obstacle à l’indemnisation des préjudices futurs, qui ne peuvent être regardés comme certains ».

Il appartiendra ainsi à la victime de solliciter une indemnisation pour chaque nouvelle période ouvrant droit à réparation.

Lettre n° 24 – PE.V