Lettre de la COREIDOC n°14 – Le préjudice d’agrément
Bref historique
Apparu dans les années 60, ce chef de préjudice a tout d’abord été réparé de manière étroite, les juges du fond et la Cour de cassation en ayant donné dans un premier temps la définition suivante : « l’impossibilité stricte et spécifique pour la victime de se livrer à une activité culturelle, sportive ou de loisirs, dont il était avéré qu’elle en faisait un usage certain sinon fréquent, revêtant une grande importance dans sa vie ». Cette conception a été abandonnée à la fin des années 70 pour englober l’ensemble des troubles dans les conditions d’existence causés par le handicap, non seulement dans les activités de loisirs, mais encore dans les activités sociales et familiales, les activités professionnelles ou scolaires et les actes essentiels de la vie courante. Cette conception large s’est particulièrement imposée lorsque subsistait une incapacité d’au moins 10 %. La nomenclature Dintilhac marque un retour à la conception d’origine.
Définition Dintilhac
« Ce poste de préjudice vise exclusivement à réparer le préjudice d’agrément spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce poste de préjudice doit être apprécié in concreto en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.) ».
Il s’agit, dans la nomenclature Dintilhac, d’un poste de préjudice extra-patrimonial permanent (après consolidation).
Aspect indemnitaire
Pour la période antérieure à la consolidation, la Cour de cassation considère que le préjudice d’agrément temporaire n’est pas susceptible de faire l’objet d’une indemnisation en tant que tel, de manière autonome ; il se trouve inclus dans le Déficit Fonctionnel Temporaire. Ainsi l’a précisé à plusieurs reprises la Cour de cassation. A titre d’exemple, un arrêt de la deuxième chambre civile du 5 mars 2015, n° 14-10.758 (Voir aussi, Cass. Civ. 2ème, 11 décembre 2014, n° 13-28.774) : affaire dans laquelle les demandeurs avaient formé un pourvoi au motif que l’arrêt d’appel n’avait pas accordé de somme au titre du préjudice d’agrément temporaire. Le pourvoi est rejeté, la cour ayant « inclus le préjudice d’agrément temporaire dans le déficit fonctionnel temporaire. Elle a légalement justifié sa décision ».
La nomenclature Dintilhac confirme la corrélation des simples atteintes à la qualité de vie avec les séquelles subies et par conséquent leur inclusion avant consolidation dans le poste « déficit fonctionnel temporaire », puis après consolidation dans le poste « déficit fonctionnel permanent ». La réalité de ce poste de préjudice doit être appréciée in concreto en référence aux activités antérieurement pratiquées par la victime. L’indemnisation du préjudice d’agrément est conditionnée par le caractère spécifique de l’activité, au regard des éléments de preuve qui sont fournis par la victime (licences, factures, témoignages…), et en prenant en compte des éléments tels que l’intensité et la fréquence de l’activité.
La Cour d’appel de Rennes (CA de Rennes, 6 juin 2007, n° 05/00534) a ainsi admis notamment comme mode de preuve « l’évocation des loisirs perdus par la victime sur une collection de photographies retraçant les prises de celle-ci sur 15 années, preuve de son investissement dans ce domaine » (nombreuses photographies de la victime en train de pêcher).
Dans le recueil méthodologique commun de 2013 mis à jour en 2016, les cours d’appel définissent le préjudice d’agrément comme l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et non plus, comme auparavant, la perte de qualité de vie subie avant consolidation, laquelle est prise en compte au titre du déficit fonctionnel permanent en s’appuyant sur l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 28 mai 2009, développé ci-dessous, confirmé par la suite (Cass. Civ. 2ème, 28 février 2013, n°11-21.015).
Il existe une harmonisation de la définition du poste du préjudice d’agrément qui est appréhendé de la même manière également en droit de la sécurité sociale (Cass. Civ. 2ème, 31 mars 2016, n° 14-30.015). « Vu l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ; Attendu que le préjudice d’agrément réparable en application de ce texte est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ».
Le préjudice hypothétique ne peut être réparé. Dès lors, la prise en compte d’activités non pratiquées avant l’accident, dans la mesure où une personne au cours de sa vie serait susceptible de découvrir et pratiquer de nouvelles activités de loisirs, ne peut donner lieu à indemnisation car relevant de l’hypothèse. N’est pas un préjudice spécifique d’agrément, le retentissement sur les conditions d’existence en altérant la capacité d’accomplir des actes usuels. La Cour de cassation a pu décider que « la pêche, la marche, le jardinage, activités spécifiques au mode de vie d’un retraité septuagénaire » n’étaient pas de nature à caractériser un préjudice d’agrément (Cass. Civ. 2ème, 31 mars 2016, n° 14-30.015).
Autres exemples
• Cass. Civ. 2ème, 5 juin 2008 (n° 07-15.791) :
« Attendu que pour condamner M. Y… à payer à M. X… une certaine somme au titre de son préjudice d’agrément, l’arrêt retient par motifs propres et adoptés que celui-ci était justifié compte tenu des séquelles retenues et de la gêne, voire de l’impossibilité de monter à cheval, ce que M. X… ne pouvait plus faire alors qu’il exploitait avec son épouse une propriété agricole où étaient élevés des chevaux ; Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. Y… faisant valoir que M. X… ne justifiait pas de la pratique de l’équitation ou d’une quelconque passion pour l’élevage des chevaux, la cour d’appel a méconnu les exigences du texte susvisé ».
A cette occasion, la Cour de cassation a rappelé que la charge de la preuve de la pratique d’une activité spécifique incombe à la victime.
• Cass. Civ. 2ème, 28 mai 2009 (n° 08-16.829) :
« La réparation des postes de préjudice dénommés déficit fonctionnel temporaire et déficit fonctionnel permanent inclut, le premier, pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le second, pour la période postérieure à cette date, les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales ; qu’il s’ensuit que la réparation d’un poste de préjudice personnel distinct dénommé préjudice d’agrément vise exclusivement à l’indemnisation du préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » :
A la suite d’une transfusion ayant entraîné une contamination par le virus de l’hépatite C, la cour d’appel avait notamment indemnisé un préjudice spécifique de contamination à hauteur de 50 000 € et un préjudice d’agrément à hauteur de 7 000 € en se fondant sur le rapport d’expertise qui avait conclu à une grande asthénie et l’impossibilité pour la victime de s’adonner à des activités de loisirs antérieures à la maladie et même de s’occuper de ses petits-enfants, se trouvant confinée à son domicile devant la télévision. Dans cet arrêt, la 2ème chambre civile censure cette décision et précise « que la réparation d’un poste de préjudice personnel distinct dénommé préjudice d’agrément vise exclusivement à l’indemnisation du préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ».
La cour d’appel avait déjà indemnisé la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante dans le DFT. En accordant une indemnité pour le préjudice d’agrément elle a indemnisé deux fois le même préjudice. La définition stricte donnée par la nomenclature Dintilhac du préjudice d’agrément est ainsi consacrée.
• Cass. Civ. 2ème, 2 juillet 2015 (n° 14-18.351) :
« Attendu que pour allouer à M. X… une certaine somme au titre du préjudice d’agrément, l’arrêt énonce qu’il est certain que M. X… ne pratiquait pas de sport comme licencié ou même de manière régulière ; que cependant, les séquelles de ses blessures lui rendent quasiment impossible l’exercice d’activités simples et habituelles que ce soit de nature sportive, d’entretien ou culturelles, sans ressentir des difficultés notamment du fait d’une station debout pénible et la survenance de crampes ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le préjudice d’agrément est celui qui résulte d’un trouble spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs, la cour d’appel a violé le texte et le principe susvisés ».