Lettre de la COREIDOC n° 27 – Les pertes de gains professionnels futurs
PGPF – Lettre n° 27 – Juin 2019
Bref historique
La loi de 1898 instaurant la réparation des accidents du travail, préconisait l’indemnisation de l’incapacité permanente partielle (IPP) en fonction de la perte de gains de la victime.
L’extension de cette notion d’incapacité permanente partielle aux autres cadres juridiques visant à indemniser les séquelles d’accidents, a entraîné une confusion entre la part physiologique, donc non économique de cette IPP, et ses conséquences sur les activités professionnelles qui, elles, ont une incidence économique.
Il était courant, en droit commun, de voir indemniser le retentissement professionnel d’une séquelle par la majoration de la valeur du point d’IPP.
Des difficultés découlaient de l’exercice du recours des organismes sociaux sur ce poste de préjudice en raison de son caractère hybride.
La doctrine et la jurisprudence ont progressivement dégagé des règles visant à dissocier la part physiologique de la part professionnelle de ce poste de préjudice.
La nomenclature Dintilhac a conceptualisé les différentes composantes du retentissement définitif des séquelles sur la sphère professionnelle. Cela a permis de clarifier la nature même de ce retentissement professionnel au travers de deux postes de préjudices distincts, pertes de gains professionnels futurs et incidence professionnelle.
Définition Dintilhac
« Il s’agit ici d’indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consé- cutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage.
Il s’agit d’indemniser une invalidité spécifique partielle ou totale qui entraîne une perte ou une diminution directe de ses revenus professionnels futurs à compter de la date de consolidation. Cette perte ou diminution des gains professionnels peut provenir soit de la perte de son emploi par la victime, soit de l’obligation pour celle-ci d’exercer un emploi à temps partiel à la suite du dommage consolidé. Ce poste n’englobe pas les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste qui ne sont que des conséquences indirectes du dommage. En outre, concernant les jeunes victimes ne percevant pas à la date du dommage de gains professionnels, il conviendra de prendre en compte pour l’avenir la privation de ressources professionnelles engendrée par le dommage en se référant à une indemnisation par estimation ».
Quelques éléments de contexte
Tant les organismes internationaux que les États ont un souci constant de replacer les personnes handicapées ou diminuées au cœur de la vie sociale.
L’objectif est toujours le même : trouver les contours d’un nouvel équilibre se traduisant par l’accès à des moyens palliatifs d’inclusion sociale. La capacité d’action au sein d’un environnement est le gage véritable de l’accomplissement, de la dignité et de l’épanouissement d’une personne tout au long de sa vie.
L’universalité de la notion de participation sociale, propre et indispensable à chaque per- sonne, valide ou handicapée, s’entend pour tout individu, de la prise en considération de ses habitudes de vie, de ses activités, de ses relations et de ses capacités d’autonomie.
Garantir la dignité de la personne handicapée consiste à mettre l’accent sur sa capacité à agir, ne serait-ce que partiellement ; la personne doit pouvoir mettre en œuvre ses capacités, même diminuées.
En effet, il importe de cerner les contours de la personne telle qu’elle était et telle qu’elle est, avec ses limites et ses potentialités, avec ses projets.
Dans un article de mars 2016, intitulé « une évaluation médico-légale objective pour une réparation équitable », M. Le Vallois et Mme Bessières-Roques écrivaient : « Le handicap doit se concevoir par le biais d’une approche graduée et nuancée qui seule, peut embrasser les incapacités mais aussi les potentialités ». Ils ajoutaient : « Il n’y a de véritable projet de vie qu’un projet d’autonomie, d’indépendance gagnée ».
A ce titre, l’insertion professionnelle constitue un élément essentiel de cette participation à la vie sociale.
Ainsi, une étude du Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie (CREDOC), de juin 2007, (« Retravailler après un accident grave ») réalisée auprès de 400 personnes sorties des centres de rééducation montrait que : « le travail a un effet bénéfique sur le psychisme : pour les personnes qui ont repris une activité, la prévalence des difficultés psychologiques baisse avec le temps. La place donnée par le travail modifie la vision de la personne sur son rôle dans la société et son projet de vie ».
L’insertion sociale par l’activité professionnelle, tenant compte des capacités restantes, présente une double dimension : la conscience de son utilité au sein de la société et le maintien du lien aux autres.
Citons la Convention nationale pluriannuelle multipartite de mobilisation pour l’emploi des personnes en situation de handicap de novembre 2017 : « La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées affirme le principe de non-discrimination et donne la priorité au travail en milieu ordinaire en misant sur l’incitation des employeurs. Elle est associée à la dynamique inclusive de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées ratifiée par la France en 2010 qui énonce notamment dans son article 27 : « Les États Parties reconnaissent aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, le droit au travail, notamment à la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou accepté sur un marché du travail et dans un milieu de travail ouverts, favorisant l’inclusion et accessibles aux personnes handicapées. Ils garantissent et favorisent l’exercice du droit au travail, y compris pour ceux qui ont acquis un handicap en cours d’emploi, en prenant des mesures appropriées ».
Plus récemment, le Gouvernement a promu une nouvelle initiative en renouvelant son soutien aux Entreprises Adaptées pour un véritable changement d’échelle, dans une op- tique toujours plus inclusive au profit de ceux qui en ont le plus besoin, par la signature de l’engagement national « Cap vers l’entreprise inclusive 2018-2022 » (engagement national signé le 12 juillet 2018) avec l’Union Nationale des Entreprises Adaptées (UNEA), l’APF France handicap et l’UNAPEI.
Les signataires s’engagent notamment à créer 40 000 emplois supplémentaires pour les personnes en situation de handicap d’ici 2022.
Ce que les textes et les politiques publiques préconisent pour le bien-être et la participation sociale de l’ensemble des personnes en situation de handicap s’adresse légitimement aux victimes d’accidents qui ne sauraient être privées de tels bénéfices.
Aspect indemnitaire
Selon la nomenclature Dintilhac, les pertes de gains professionnels futurs (les PGPF) réparent les pertes de gains liées à un changement d’activité ou à l’impossibilité de travailler partiellement ou totalement, au regard de la situation antérieure de la victime.
En effet, plusieurs cas de figure se présentent.
► La victime exerçait une activité professionnelle avant l’accident : salariés ou non-salariés (professions libérales, commerçants, artisans, agriculteurs, etc.).
► La victime était sans profession avant l’accident : personnes en capacité de tra- vailler mais qui ne travaillaient pas (mère ou père au foyer, chômage courte ou longue durée, etc.) ou les enfants, étudiants.
En tout état de cause, il appartient à la victime d’établir le lien de causalité entre l’accident et le changement intervenu dans les conditions d’exercice de l’activité. Crim. 21 mars 2017, n° 15-86.241 : « Attendu que, pour confirmer le jugement, l’arrêt énonce que le médecin expert n’a relevé aucun élément dans la situation de l’intéressé ne lui permettant pas de reprendre son activité professionnelle, laquelle a d’ailleurs été reprise par ce dernier le 15 juin 2010 ; que les juges ajoutent que si X… est devenu gérant d’une société à compter du 30 septembre 2012 et s’il est allégué une baisse de revenus depuis la date de consolidation et depuis le 30 septembre 2012, aucune pièce produite aux débats ne vient expliquer ce changement intervenu dans les conditions d’exercice de son activité par une relation de cause à effet avec les séquelles des faits dont il a été victime et encore moins la baisse de revenus en relation ; Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel qui a, sans insuffisance, ni contradiction, souverainement apprécié l’absence de lien de causalité entre la baisse de revenus de la partie civile avec l’agression dont celle-ci a été victime, a justifié sa décision ».
Une cour d’appel évalue la perte de gains professionnels futurs subie par une victime d’infraction sur la base de son salaire annuel antérieur, multiplié par un euro de rente jusqu’à l’âge de sa retraite, déduction faite de la pension d’invalidité qu’elle perçoit.
Sur pourvoi du FGTI, l’arrêt est cassé pour défaut de base légale, car la cour d’appel a omis de vérifier, comme elle y avait été invitée, si la victime se trouvait effectivement dans l’impossibilité de reprendre la moindre activité professionnelle (Cass. 2ème civ., 24 mai 2018, n° 17-18.384).
I/ Les conséquences de l’accident sur la capacité de travail
Le cas spécifique des accidents graves relevant de l’étude du CREDOC précitée (étude sur la réinsertion sociale et professionnelle des personnes sortant d’établissements ou services sanitaires de médecine physique réadaptation (MPR), juin 2007, quelle que soit la cause du handicap) révèle, malgré les difficultés inhérentes à l’environnement des victimes, une certaine capacité de réinsertion de ces dernières.
Selon cette étude, après l’accident, 44% des personnes interrogées ne reprennent pas le même emploi qu’avant et parmi celles qui retrouvent le même emploi, 6% sont sur un autre poste, 8% bénéficient d’aménagement dans les horaires ou le rythme de travail et 9% bénéficient d’un aménagement de poste. Au total, seules 33% retravaillent dans les mêmes conditions qu’avant l’accident.
Trois ans après l’accident, la moitié des individus a repris un travail, un quart est en invalidité, un sur dix recherche un emploi.
Il ressort également de cette étude que 41% des victimes souffrant d’atteintes cérébrales et 28% de celles souffrant d’atteintes médullaires ont été en capacité de retrouver un travail.
En outre, parmi ces victimes, le retour à l’emploi est deux fois plus fréquent lorsqu’elles ont été suivies par une équipe du réseau Comète France.
On peut également citer la Convention nationale pluriannuelle multipartite de mobilisation pour l’emploi des personnes en situation de handicap 2017-2020, de novembre 2017 : « Grâce à la volonté politique déterminée, à la mobilisation des acteurs publics et privés, des progrès sont constatés : entre 2011 et 2016, le taux d’emploi des personnes en situation de handicap dans la fonction publique est passé de 4,22 à 5,32% et de 3,0% à 3,3% entre 2011 et 2014 dans le secteur privé. Autres évolutions notables, la part des établissements employant des travailleurs handicapés est passée de 60% en 2006 à 78% en 2014 et celle des établissements sans action positive (ni emploi direct, ni recours à la sous-traitance) a nettement reculé, passant de 29% en 2006 à 8% en 2014 ».
A – Victimes exerçant une activité professionnelle avant l’accident
Il s’agit concrètement de mesurer la différence entre les gains obtenus par la victime avant l’accident et ceux conservés après.
1/ Inaptitude partielle à l’exercice de la profession antérieure.
a – Reprise partielle dans la même activité ou dans une autre activité.
Dans un arrêt du 18 janvier 2018, n° 17-10.648, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui avait permis l’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs d’une victime du fait d’une perte de chance de travailler à temps plein dans l’avenir. En effet, selon la Cour de cassation « en se déterminant ainsi, alors qu’elle avait constaté que Mme Z… occupait déjà un emploi à temps partiel avant l’accident, sans rechercher si elle avait subi une diminution de salaire consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle était confrontée dans sa sphère professionnelle à la suite du dommage, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
b – Reprise à plein temps mais avec une rémunération moins élevée.
Citons un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, du 24 mai 2018, n° 17-17.962. Pour fixer la perte de gains professionnels futurs (PGPF) d’une victime, une cour d’appel constate que, bien que licenciée pour inaptitude, elle reste apte à occuper un poste d’infirmière comportant moins de responsabilités. Puisqu’elle a la possibilité d’effectuer une démarche de reconversion professionnelle, la cour d’appel fixe le montant de son préjudice à une année de revenus.
La Cour de cassation considère ce motif inopérant : puisque la cour d’appel avait constaté que la victime était devenue inapte à poursuivre son activité professionnelle au même ni- veau de responsabilité, il en résultait l’existence d’une perte de gains professionnels futurs, se prolongeant dans le temps. Elle casse l’arrêt pour violation du principe de réparation intégrale.
2/ Inaptitude totale à l’exercice de la profession antérieure avec possibilité ou non de réorientation.
a – Impossibilité de reprendre son activité antérieure…
Après un accident grave, les victimes peuvent se retrouver dans l’impossibilité de reprendre leur activité antérieure.
Ainsi, dans un arrêt du 14 septembre 2017, n° 16-23.578, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé que « si M. X… exerçait avant l’accident une activité de journaliste qui, pour n’être pas permanente, était source régulière de revenus, ensuite, que les troubles comportementaux et cognitifs dont il souffre rendent quasi impossible la reprise de son activité professionnelle antérieure et constituent un obstacle à une reconversion, c’est sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel a réparé, d’une part, au titre de la perte de gains professionnels futurs, la perte de chance de M. X… de retirer des revenus de l’exercice d’une nouvelle activité, d’autre part, au titre de l’incidence professionnelle, le préjudice résultant de la nécessité où il se trouve en raison de son handicap, de renoncer à l’exercice de sa profession de journaliste ».
b – … mais pas inapte à tout emploi.
Ainsi, dans le cas d’une victime licenciée pour inaptitude à son activité antérieure et absence de nouvel emploi, la première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 20 septembre 2017, n° 16-21.367, énonce que l’indemnisation ne peut être limitée à une seule incidence professionnelle. C’est ainsi qu’elle a jugé : « Attendu que, pour rejeter la demande de M. X… au titre de la perte de gains professionnels futurs, l’arrêt relève que, si l’expert indique qu’il n’est pas apte à reprendre l’activité de mécanicien monteur qu’il exerçait avant l’intervention et s’il a été licencié pour inaptitude le 12 juillet 2011, les séquelles qu’il présente à la suite de l’infection nosocomiale ne le rendent pas inapte à tout emploi salarié ou à toute profession, de sorte qu’il ne saurait prétendre être indemnisé sur la base d’une perte de gains à la fois déterminée et intégrale, que rien ne permet de dire qu’il ne pourra pas retrouver, en raison de ces seules séquelles un niveau de rémunération égal à celui qui était le sien auparavant mais que celles-ci entraînant une dévalorisation sur le marché de l’emploi avec ses incidences péjoratives au plan de la retraite justifient l’octroi d’une indemnité au titre de l’incidence professionnelle ; qu’en se bornant à allouer à M. X… en réparation de son préjudice professionnel postérieur à la consolidation, une indemnité au titre d’une incidence professionnelle, alors qu’il résultait de ses constatations qu’à la date sa décision, il était demeuré sans emploi et avait ainsi subi une perte de gains professionnels, la cour d’appel a violé le texte et le principe susvisés ».
L’indemnisation totale des PGPF ne peut découler de la seule inaptitude au poste précédemment occupé. C’est ce qu’a rappelé la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 2 mars 2017, n° 16-16.098, dans lequel elle énonce que, prive sa décision de base légale, la cour d’appel qui permet l’indemnisation des PGPF d’une victime sans expliquer en quoi cette dernière « serait définitivement dans l’impossibilité de retrouver un emploi de bureau pour lequel elle le reconnaissait apte » (confirmé par l’arrêt du 24 mai 2018 n°17-18.384).
En effet, la Cour d’appel de Riom (arrêt du 3 février 2016, n° 13/02180), en l’espèce, avait alloué une indemnisation au titre des PGPF à la victime en énonçant que « M. M. ne peut plus exercer sa profession et doit être indemnisé à ce titre, d’autant que placé en invalidité il n’a pas pu trouver l’emploi de bureau qu’il serait apte à exercer ».
3/ Inaptitude totale à l’exercice de toute profession : Impossibilité d’exercer toute activité rémunérée.
La Cour de cassation s’est prononcée sur l’articulation des postes Incidence professionnelle (6 items : abandon de la profession, dévalorisation sur le marché du travail, pénibilité accrue, perte de droits à la retraite, perte de chance professionnelle, et frais de reclassement) et PGPF lorsque la victime est privée de la possibilité d’exercer toute activité professionnelle.
D’avril 2017 à mars 2019, cette dernière a rendu une série d’arrêts par lesquels elle tend à souligner l’incompatibilité entre l’indemnisation totale des PGPF et une indemnisation complémentaire au titre de l’incidence professionnelle.
Dans un arrêt du 27 avril 2017, n° 16-13.360, la Cour de cassation avait censuré l’arrêt d’appel qui avait admis l’indemnisation de la victime au titre de l’incidence professionnelle pour fatigabilité accrue, dévalorisation et/ou nécessité de reconversion, alors que celle-ci se trouvait dans l’incapacité totale d’exercer à l’avenir toute activité professionnelle.
Plus récemment, dans un arrêt du 13 septembre 2018, n° 17-26011, publié au bulletin, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, au visa du principe de la réparation intégrale, a retenu que : « l’indemnisation de la perte de ses gains professionnels futurs sur la base d’une rente viagère d’une victime privée de toute activité professionnelle pour l’avenir fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l’incidence professionnelle ».
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a relevé la justesse du moyen fondé sur la définition de la nomenclature Dintilhac : « alors que l’incidence professionnelle vient compléter celle déjà obtenue par la victime au titre du poste « pertes de gains professionnels futurs » sans pour autant aboutir à une double indemnisation du même préjudice ; qu’elle répare en particulier la dévalorisation sur le marché du travail, la pénibilité accrue de l’exercice d’une activité professionnelle, ou encore le préjudice lié à l’abandon de l’activité professionnelle pour en adopter une autre ; qu’il n’y a donc pas lieu à indemniser l’incidence professionnelle lorsque la victime ne reprend strictement aucune activité professionnelle ; qu’en allouant 10 000 euros à la victime au titre de l’incidence professionnelle après avoir retenu que la victime ne pouvait plus envisager d’exercer une quelconque activité professionnelle, la cour d’appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice ».
Dans le même sens, on peut également citer un arrêt du 4 octobre 2018, n° 17-24.858. En l’espèce, la cour d’appel avait alloué une indemnisation totale des PGPF jusqu’à l’âge de la retraite, une indemnisation au titre de la perte chiffrée des droits à la retraite, et en sus, une indemnité portant sur l’incidence professionnelle pour dévalorisation sur le marché du travail et pénibilité accrue.
Dans la même lignée, par un arrêt du 7 mars 2019, n°17-25.855 publié au bulletin, la Cour de cassation confirme cette solution et ajoute que l’abandon de toute activité professionnelle est indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel inclut la perte de qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales.
A noter toutefois qu’à l’occasion d’un arrêt inédit, la Cour de cassation a retenu qu’en cas de rente temporaire, l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs d’une victime n’exclut pas toute indemnisation au titre de l’incidence professionnelle, si celle-ci est constituée (Cass. 2ème civ., 13 décembre 2018, n°17-28.019).
B – Victimes sans profession avant l’accident
En ce qui concerne les pertes de gains professionnels futurs des jeunes victimes n’étant pas encore entrées dans la vie active, il ne peut, par définition, y avoir de référence à un salaire antérieur.
En présence de séquelles majeures interdisant médicalement tout exercice d’une profession, il s’agit à ce moment-là d’indemniser des pertes de gains professionnels futurs que l’on valorisera en se fondant sur un salaire fictif de référence basé sur différents paramètres selon l’âge de la victime, son parcours scolaire, son niveau d’études, son environnement familial et le niveau de rupture au moment de l’accident.
Cela étant, l’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs de la victime mineure en totalité, comme pour l’adulte, permet d’écarter l’attribution d’une incidence professionnelle car ce poste de préjudice compense déjà totalement les risques inhérents au retentissement professionnel.
Citons sur ce point un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 9 avril 2009, n° 08-15.977 : la réparation de la perte d’une chance doit être mesurée à la chance perdue. Celle-ci ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. En l’espèce, l’arrêt attaqué avait alloué une somme au titre du préjudice professionnel, le considérant comme certain compte tenu des éléments du dossier qui démontraient que les chances de réussite de la victime à l’école de commerce étaient très sérieuses et qu’elle a donc perdu avec une très forte probabilité la chance d’avoir un emploi de cadre supérieur. Cette perte de chance avait été évaluée par les juges du fond comme équivalente à la différence entre les revenus d’un cadre supérieur et ceux d’un employé. L’arrêt est censuré sur ce point, la cour n’avait pas à tenir pour acquis que la victime aurait obtenu un poste de cadre supérieur et à en indemniser la perte de salaire correspondante capitalisée.
Il s’agit d’une jurisprudence constante, notamment rappelée par un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 11 septembre 2014, n°13-10.414.
Les juges du fond ont également eu à se prononcer sur les préjudices professionnels d’une victime étudiante dans un arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 28 jan- vier 2016, n°14/19354. En l’espèce, la victime suivait au moment de l’accident un BEP de conduite transport routier et un stage de sapeur-pompier volontaire pour être ensuite admise au recrutement de marin pompier, profession dans laquelle elle souhaitait faire carrière. La cour d’appel accorde une indemnisation au titre de l’incidence professionnelle à la victime, qui ne peut « prétendre atteindre un niveau de rémunération aussi élevé que celui qu’il pouvait espérer être le sien ». Ainsi, elle évalue à 75% la perte de chance pour la victime de percevoir le salaire moyen net d’un marin-pompier. La somme allouée à la victime correspond à la différence entre le revenu qu’elle perçoit et celui qu’elle aurait pu percevoir après application du taux de perte de chance.
Dans le cas d’une victime âgée de 10 ans au moment de l’accident, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 4 septembre 2017, n°15/17154 a retenu une perte de chance pour la victime de percevoir un certain salaire au vu des éléments présentés. En l’espèce, la victime avait suivi, à compter de sa sortie d’hospitalisation une scolarisation en section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) puis une formation professionnelle durant environ 7 ans et avait obtenu un BEP de vente action commerciale. La victime demandait la prise en compte d’un salaire de référence correspondant au salaire net moyen perçu par ses trois sœurs aînées ayant effectué des études supérieures, au jour de la décision, soit 2771 euros. La cour d’appel considère que le préjudice de la victime consiste en une perte de chance de percevoir une rémunération de niveau équivalent à celui de ses sœurs, évaluée au taux de 60%, « compte tenu notamment des difficultés scolaires antérieures à l’accident, dont l’intéressé fait lui-même état ».
CA Lyon, 28 février 2017, n° 14/09803 : La victime, étudiante au jour de l’accident, « n’avait aucun revenu professionnel durable. Il ne peut donc être indemnisé au titre d’une perte de gains professionnels futurs qu’une perte de chance d’exercer un emploi déterminé et d’acquérir les rémunérations correspondantes ». Ainsi, la victime « a perdu une chance de trouver un emploi dans le domaine du management et de conserver cet emploi jusqu’à son départ à la retraite avec les salaires correspondants.
Cependant, les embauches et les salaires étant très variables, il sera retenu que le montant du salaire qu’aurait pu espérer Monsieur P. est de l’ordre de 3 000 € nets de tous prélèvements en moyenne sur toute sa carrière, soit environ 2 000 € par mois en début de carrière et environ 4 000 € en fin de carrière.
La perte de chance sera fixée à 80% compte tenu de ses résultats universitaires et appréciations professionnelles.
D’autre part, il sera retenu le taux de capitalisation de rente viagère compte tenu de la jeunesse de Monsieur P. qui n’avait pas encore acquis de droits à la retraite ».
C – Cas particuliers
La retraite anticipée pour handicap
Elle permet à certains travailleurs handicapés, qu’ils soient dans le Secteur privé, dans la Fonction publique ou Indépendants, de partir avant l’âge légal de 62 ans, sans décote et sans être pénalisés par une carrière plus courte. En effet, la Caisse de retraite appliquera une majoration pour compenser les trimestres manquants.
A noter que la plupart des caisses de retraite complémentaire, exceptés les régimes complémentaires des professions libérales et des fonctionnaires, acceptent le départ anticipé en retraite, mais n’appliquent pas de majoration pour compenser le départ anticipé.
Handicap et retraite : Les conditions à remplir
Jusqu’à la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014, pour pouvoir bénéficier de la retraite anticipée pour handicap et partir sans décote avant l’âge légal de 62 ans, le travailleur handicapé devait justifier :
- d’une RQTH (reconnaissance qualité de travailleur handicapé) ou d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 80 %
- et d’une certaine durée d’assurance concomitante avec son handicap.
Des changements sont intervenus. Il faut désormais remplir les conditions suivantes :
- Justifier d’une incapacité permanente d’au moins 50 % constatée par une décision de la MDPH
- et d’une certaine durée d’assurance dont un certain nombre de trimestres cotisés, qui dépendent de l’année de naissance et de l’âge choisi pour partir (Retraite anticipée pour handicap d’un salarié du privé, Service-public.fr).
Dans un arrêt du 20 novembre 2018, n° 17/00412, la Cour d’appel de Pau, rappelle l’âge légal de départ à la retraite. En l’espèce, la victime, masseur kinésithérapeute, demande, pour son départ à la retraite, de retenir, non pas l’âge de 62 ans comme l’a fait le premier juge, mais celui de 66 ans auquel il pourra bénéficier d’un taux plein.
La cour d’appel va relever que la victime ne produit aucun élément concernant l’âge moyen des départs à la retraite dans sa profession corroborant l’hypothèse d’un départ à 66 ans. Ainsi, la cour jugera que c’est par une exacte appréciation des éléments du litige, que le tribunal a retenu comme âge de départ à la retraite, l’âge légal de 62 ans.
II/ Les modalités de calcul de l’indemnisation
La Cour de cassation, dans son arrêt du 24 mai 2018, n° 17-14.738, rappelle que ce poste de préjudice ne peut pas faire l’objet d’une évaluation forfaitaire.
En l’espèce, il s’agissait d’une personne âgée de 29 ans, victime d’un accident de la circulation alors qu’un mois auparavant, elle venait de créer sa propre entreprise, de sorte qu’elle n’a pas pu mener à bien son projet. La cour d’appel considère qu’elle doit être indemnisée sur la base d’une perte de chance et, s’agissant d’un secteur d’activité en plein essor, elle lui alloue une somme forfaitaire de 25 000 € au titre de sa perte de gains professionnels futurs.
L’arrêt est cassé pour violation du principe de réparation intégrale car, comme la victime le soutenait dans ses conclusions, la réparation de ce poste de préjudice ne doit pas être évaluée de manière forfaitaire.
A – La détermination de la perte de revenus
Dans un arrêt du 12 juin 2018, n° 17-80.745, la chambre criminelle de la Cour de cassation énonce que l’évaluation de la revalorisation du salaire d’une victime et la capitalisation viagère (incluant la retraite) de sa perte de gains professionnels futurs est soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond : « Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que la méthode de calcul utilisée était de nature à assurer la réparation intégrale sans perte ni profit du préjudice résultant de l’infraction, la cour d’appel, en appréciant le salaire de référence et en évaluant comme elle l’a fait les sommes dues au titre de la perte de gains professionnels futurs, incluant la perte des droits à la retraite, n’a fait qu’user de son pouvoir d’apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l’indemnité propre à réparer le dommage ».
Par ailleurs, les juges du fond rappellent souvent les modalités de calcul des pertes de gains. Par exemple, dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Metz le 13 novembre 2018, n°17/01696, cette dernière énonce que cette perte de gains « ne peut s’évaluer que sur la base du salaire net, déterminé à partir d’éléments probants objectifs, à savoir les derniers bulletins de salaire de la victime avant son accident mentionnant le cumul net imposable, et/ ou le dernier avis d’imposition permettant de connaître les différents éléments constitutifs de la rémunération nette annuelle (salaire net moyen mensuel, primes, 13ème mois, etc.) ».
En ce qui concerne les modalités de détermination du revenu, il peut être tenu compte d’une actualisation à la date de la transaction ou de la décision de justice (Cass. 2ème civ.,27 avril 2017, n° 16-13.360 : « Attendu que pour fixer à une certaine somme la perte de gains professionnels futurs de Monsieur X…, l’arrêt énonce qu’il est certain que Monsieur X…, s’il n’avait pas été accidenté, aurait poursuivi l’activité professionnelle qu’il avait choisie ; qu’en conséquence, la perte de gains professionnels futurs peut raisonnablement être évaluée sur la base de son ancien salaire ;
Qu’en statuant ainsi, sans se fonder sur le salaire auquel la victime aurait eu droit au jour de la décision, alors que le calcul proposé par Monsieur X… sur la base du revenu moyen français s’analysait en une demande d’actualisation, la cour d’appel a violé le principe susvisé »).
Par ailleurs, dans certains cas, lorsque s’est écoulée une longue période entre l’accident et la liquidation du préjudice, une revalorisation du salaire de base pourra être effectuée en fonction des éléments probants fournis par la victime.
Lorsque la victime présentait des chances sérieuses d’évolution professionnelle, l’indemnisation de cette dernière pourra être prise en compte au titre d’une perte de chance.
Dans un arrêt du 8 décembre 2016, n° 15-26.195 et 15-28.180, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la revalorisation du salaire d’une victime qui a justifié d’une évolution prévisible de carrière : « Attendu que pour évaluer les pertes de gains professionnels futurs subies par Monsieur X…, l’arrêt énonce qu’en l’absence des états de service de ce dernier, rien ne permet de connaître sa carrière prévisible, de sorte que la perte de revenu sera évaluée sur la base du salaire à la date de la radiation et jusqu’à la date de la retraite ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’intéressé avait régulièrement produit une attestation de la direction des ressources humaines de la gendarmerie nationale décrivant précisément l’évolution de carrière qui aurait dû être la sienne ainsi que le montant des soldes correspondant à chaque grade et portant le numéro 41 sur le bordereau récapitulatif annexé à ses conclusions, la cour d’appel a dénaturé par omission ce document et violé le texte susvisé ».
Cette solution n’est pas nouvelle. En effet, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation 4 avait déjà eu l’occasion de statuer, en 2012, sur le salaire à retenir pour l’indemnisation d’une perte de gains professionnels futurs d’une victime, militaire de carrière : « Attendu que pour condamner la société à payer à l’agent judiciaire du Trésor public la somme de 1 008 321,70 euros, dont 560 714,44 euros au titre de la perte des gains professionnels futurs, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que lors de l’accident, Monsieur Y…, « conducteur de travaux, entretien bâtiments et gestion », percevait, comme militaire de carrière au grade de sergent-chef, une solde de 1 330 euros par mois ; que la détermination du revenu de référence devait se faire en tenant compte des évolutions certaines de carrière ; que l’accession par Monsieur Y… au grade de major était au vu du profil de sa carrière, de son ancienneté et de ses faits d’arme, certaine et non pas seulement hypothétique ; que le revenu de référence actualisé pouvait donc être retenu à hauteur de la solde d’un major, qu’aucun abattement ne pouvait être imputé sur ce montant en raison de la certitude de cette évolution ;
Qu’en se déterminant ainsi, alors que l’impossibilité pour un militaire du grade de sous-officier d’accéder à un grade supérieur constitue une perte de chance dont la réparation doit être mesurée à la chance perdue, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Dans son référentiel (B. Mornet, Conseiller à la Cour de cassation, L’indemnisation des préjudices en cas de blessures ou de décès, Septembre 2018), Benoît Mornet, conseiller à la Cour de cassation, rappelle que la haute juridiction a de longue date posé le principe selon lequel, lorsque l’indemnisation de la perte de droits à la retraite est demandée au titre du poste perte de gains professionnels futurs, le juge doit l’évaluer en tant que telle (Cass. 2ème civ., 22 novembre 2012, n° 11-25.599) bien que la perte des droits à la retraite relève en principe de l’incidence professionnelle.
Dès lors, l’euro de rente utilisé pour le calcul des PGPF est scindé en euros de rente différentiels correspondant à chaque période d’indemnisation.
Il détaille donc la méthode de calcul suivante :
« Il convient alors d’évaluer le préjudice sur la période courant de la décision à la date à laquelle la victime aurait normalement pris sa retraite : la perte annuelle sera capitalisée en utilisant le prix de l’euro de rente temporaire jusqu’à l’âge de la retraite ; il convient ensuite de déterminer la différence entre la retraite qu’aurait perçue la victime si le dommage ne s’était pas réalisé et la retraite qu’elle percevra réellement ; la victime produira utilement une projection de ses droits à la retraite dans chacune des hypothèses, permettant ainsi de calculer simplement la différence : la perte de retraite sera capitalisée en utilisant le prix de l’euro de rente viagère pour un homme de l’âge auquel il aurait pris sa retraite.
Exemple : (Avec le barème de la Gazette du palais de 2016 au taux de 1.04%) : soit un homme de 50 ans au jour de la décision, subissant une perte de revenus annuelle de 12 000€ ; cette victime démontre qu’elle aurait pris sa retraite à 60 ans et que du fait de l’accident, elle ne percevra qu’une retraite de 6 000€ par an alors que si le dommage ne s’était pas produit, elle aurait perçu une retraite de 9 000€ par an.
- Arrérages à échoir sur les dix années séparant la date de la décision de la date à laquelle elle aurait pris sa retraite (60 ans) : 12 000€ x 9,114 (prix de l’euro de rente temporaire jusqu’à 60 ans pour un homme de 50 ans) = 109 368€.
- Arrérages à échoir à partir de 60 ans (âge auquel il aurait pris sa retraite si le dommage ne s’était pas réalisé) consistant en une perte de retraite de 3 000€ par an (9 000 – 6 000) : 3 000€ x 18,735 (prix de l’euro de rente viagère pour un homme de 60 ans) = 56 205€ ».
Ces calculs aboutissent à la somme totale de 165 573 €.
Cette méthode peut être critiquée. Le référentiel aurait dû retenir un prix d’euro de rente (P€R) différentiel pour la seconde période alors qu’en l’espèce, le P€R retenu pour la se- conde période est un P€R viager à l’âge de 60 ans, estimant ainsi que la victime qui a 50 ans aura normalement atteint ses 60 ans. Or, l’aléa doit toujours s’apprécier à la date de la liquidation, c’est-à-dire à ses 50 ans.
Il aurait donc dû être retenu :
- pour la première période, un P€R temporaire jusqu’à 60 ans à l’âge de 50 ans, soit : 9,114 ;
- pour la seconde période, un P€R viager à l’âge de 50 ans – un P€R temporaire jusqu’à 60 ans à l’âge de 50 ans, soit 24,786 – 9,114 = 15,672.
Les pertes de gains professionnels futurs de la victime auraient dû être fixées à 156 384 € (12 000 X 9,114 + 3 000 X 15,672).
L’euro de rente est scindé en euros de rente différentiels correspondant à chaque période d’indemnisation.
La détermination du point d’euro de rente à appliquer ne peut se faire que par différentiel dans la mesure où le point d’euro de rente, fixé au fil du temps, doit toujours prendre en compte l’aléa consistant à atteindre le nouvel âge considéré, l’aléa devant toujours s’ap- précier à partir de la date de la liquidation.
Il faut cependant admettre que la méthode par PER différentiel est délicate à expliquer et qu’il est plus simple d’affirmer que le responsable doit garantir à la victime à compter de ses 50 ans 3 000 € de manière viagère + 9 000 € de manière temporaire de 50 ans à 60 ans (de 50 à 60 ans la victime subit une perte de 9 000 € et de 3 000 € à partir de 60 ans), ce qui donne avec les PER : (9 000 X 9,114 + (3 000 X 24,786) = 82 026 + 74 358 = 156 384 €.
B – L’IMPUTATION / DÉDUCTION
Il convient de rappeler que les règles d’imputation figurent à l’article 29 al. 5 de la loi n°85- 677 du 5 juillet 1985.
De la perte de revenus annuels :
- Doivent être déduites :
- La rente accident du travail (2ème civ., 5 octobre 2017, n° 16-12.285).
- La pension de retraite anticipée (1ère civ., 9 juin 2017, n° 16-14.626).
- La pension d’invalidité (2ème civ., 29 mars 2018, n°17-15.260).
- Ne doivent pas être déduites de la perte de revenu annuel :
- les allocations de chômage (crim., 29 octobre 2013, n° 12-83.754),
- les allocations pour adulte handicapé ( 2ème civ.,8 septembre 2016, n°14-24.524),
- l’indemnité de licenciement pour inaptitude médicale à l’emploi ( 2ème civ, 7 avril 2011, n° 10-30566, PB ; Cass. 2ème civ., 8 février 2018, n°17-13.115).
- et les pensions d’invalidité versées par un organisme ne bénéficiant pas du droit de subrogation prévu par l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 (2ème civ., 13 décembre 2001, n° 99-21025). En effet, cette jurisprudence est constante depuis l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 12 juillet 2007, n°06-16.084 : « ouvrent droit à un recours, subrogatoire par détermination de la loi, contre la personne tenue à réparation ou son assureur les indemnités journalières de maladie et les prestations d’invalidité, versées à la victime d’un dommage résultant des atteintes à sa personne, par les groupements mutualistes régis par le Code de la mutualité, les institutions de prévoyance régies par le Code de la sécurité sociale ou le Code rural et par les sociétés d’assurances régies par le Code des assurances ». Cette solution est souvent rappelée par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt rendu par sa première chambre civile le 23 octobre 2014, n° 13-11.612, n°13-15.068 et n°13-25.486.
Cass. 2ème civ., 24 mai 2018, n°17-18.980 : Si le poste de Perte de Gains Professionnels Futurs est rejeté et à défaut de demande d’Incidence Professionnelle, l’imputation de la pension d’invalidité s’opère sur le Déficit Fonctionnel Permanent : « Mais attendu que la pension d’invalidité prévue par l’article L. 341-1 du Code de la sécurité sociale indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et les incidences professionnelles de l’incapacité, d’autre part le déficit fonctionnel permanent ; qu’en l’absence de pertes de gains professionnels ou d’incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ; qu’ayant, en l’absence de preuve de pertes de gains professionnels futurs imputables à l’agression, rejeté la demande d’indemnisation formée à ce titre, sans qu’une incidence professionnelle ait été invoquée, c’est à bon droit et sans se contredire que la cour d’appel a imputé la pension d’invalidité sur le poste de préjudice personnel extra-patrimonial du déficit fonctionnel permanent dont elle a retenu l’existence ».
C – RENTE OU CAPITAL
La nature même de ce préjudice devrait conduire à une indemnisation sous forme de rente. En effet, tout salarié ne débute pas avec un capital, ses salaires lui sont versés au fur et à mesure du travail réalisé.
Ainsi, le Livre Blanc des assureurs de 2018 préconise une indemnisation sous forme de rente : « Si l’indemnisation immédiate sous forme de capital est indissociable de certains postes de préjudices (les préjudices économiques actuels et les préjudices extrapatrimoniaux), il en va tout autrement de l’indemnisation des postes de préjudices patrimoniaux futurs. Il s’agit essentiellement des pertes de gains professionnels futurs, de l’assistance par tierce personne future et des dépenses de santé futures dont les conséquences peuvent s’étaler sur une période longue et, dans la majorité des cas, tout au long de la vie de la victime.
Ils l’ont exprimé déjà dans le Livre Blanc de 2008, mais les assureurs le redisent à nouveau avec force aujourd’hui : seule une indemnisation sous forme de rente indexée des préjudices patrimoniaux futurs est à même de garantir à la victime une indemnisation intégrale de ces préjudices, dans les meilleures conditions de sécurité, et ce jusqu’à son décès ».
En effet, la capitalisation d’un préjudice futur à l’aide d’un barème de capitalisation repose, par définition, sur des estimations (espérance de vie/rendement du capital investi/inflation future) correspondant à des valeurs moyennes issues d’analyses statistiques. Or, ces valeurs moyennes sont intrinsèquement incapables de s’appliquer valablement à la situation d’une personne en particulier. En effet, nul ne peut en réalité prétendre aujourd’hui, dans le contexte économique mondial actuel, connaître, sur des périodes très longues, l’évolution future des taux d’intérêt et de l’inflation. De même que nul ne peut connaitre la durée de vie exacte d’une personne.
L’emploi d’un barème de capitalisation expose donc inévitablement la victime à un risque car aucun barème de capitalisation aussi rigoureux soit-t-il, ne peut combler l’écart entre la réalité que vivra la victime dans le futur et les valeurs, normes et statistiques considérées.
Il est en toute hypothèse particulièrement inapproprié de faire porter un risque économique et financier, ainsi qu’un risque de longévité importants à une victime qui, quelles que soient ses capacités à gérer au mieux le capital reçu, n’aura en aucun cas les moyens de les assumer.
Ce risque est d’autant plus grand que le préjudice est important et /ou de longue durée. Raison pour laquelle le règlement en capital doit être réservé aux préjudices de courte durée ou de faible valeur économique.
En cas de capitalisation de ce poste de préjudice, elle sera temporaire ou viagère en fonction de la possibilité ou non d’apprécier in concreto l’incidence du départ anticipé sur les points de retraite (pour le cas d’une personne proche de la retraite, la capitalisation des PGPF ne saurait être viagère – CE, 7 février 2017, n° 394801). En revanche, dès lors qu’est appliqué un prix d’euro de rente viager, il ne saurait y avoir cumul avec l’incidence professionnelle prise dans sa composante retraite.
Cass. 2ème civ., 8 mars 2018, n°17-10.142 : « Qu’en statuant ainsi, en capitalisant la perte de gains professionnels futurs sur la base d’un euro de rente temporaire, alors que la victime en avait sollicité la capitalisation viagère pour réparer la perte de ses droits à la retraite, la cour d’appel, qui n’a pas indemnisé, à un autre titre, la perte de ces droits, a violé le texte et le principe susvisés ».