Quelques aspects de la perte de chance en responsabilité médicale
PRÉAMBULE
La notion de perte de chance est un concept à géométrie variable, d’autant plus difficile à cerner que l’on ne dispose à l’heure actuelle d’aucune définition légale. Classiquement, constitue une perte de chance « réparable » la disparition actuelle, et certaine d’une éventualité favorable.
Depuis plus d’un siècle, la jurisprudence en en a façonné une définition ; la chambre criminelle de la Cour de cassation en particulier, a affirmé à plusieurs reprises que « l’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance peut présenter en lui-même un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition de la possibilité d’un évènement favorable, encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Cass. crim. 18 mars 1975, bull crim n°79).
Au regard de la responsabilité médicale, le principe de la réparation de la perte de chance a clairement été affirmé pour la première fois dans un arrêt de la première chambre civile du 7 février 1990 (Cass. Civ. 1ère, 7 février 1990, n° 88-14797) : le médecin « qui manque à son obligation d’éclairer son patient sur les conséquences éventuelles du choix de celui-ci d’accepter l’opération qu’il lui propose, prive seulement l’intéressé d’une chance d’échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé, perte qui constitue un préjudice distinct des atteintes corporelles résultant de ladite opération ». Il s’agit de réparer la perte de chance qu’aurait eue le patient de ne pas subir de dommages en refusant l’intervention ou les soins s’il avait été correctement informé des risques.
La victime est privée d’une espérance future dont il est impossible de savoir, de par le fait dommageable, si elle se serait ou non réalisée. Cette perte de chance a tout d’abord permis une sorte de compensation en cas de carence d’un lien de causalité direct avec une faute qu’on n’arrive pas à établir, puis peu à peu pour pallier au lien causal. Mais le recours à la notion de la perte de chance dans le domaine médical s’est développé au-delà de la simple sanction au manquement d’une obligation d’information, en présence d’une erreur de diagnostic ou de soins ayant fait perdre au patient une chance de guérison ou de survie.
A ce jour, la perte de chance est en pleine évolution : longtemps indemnisée comme une fraction du préjudice par la Cour de cassation, au contraire du Conseil d’État qui réparait le préjudice dans sa totalité, une uniformisation de la jurisprudence des deux ordres de juridiction semble se dessiner. Ce concept est parfois utilisé pour indemniser le manquement à une obligation d’information, voire à un préjudice d’impréparation, ou encore pour sanctionner une faute technique (retard d’intervention, erreur de diagnostic…). La perte de chance ne supplée pas le lien causal, mais répare un préjudice ou la disparition d’une probabilité de refuser un traitement, obtenir une guérison, ou subir un préjudice moindre. Cette étude ne traitera pas de la naissance d’un enfant handicapé à la suite d’un diagnostic prénatal erroné.